Théâtre-forum et développement relationnel

La préoccupation première du théâtre-forum a été de donner un support de réflexion et d’action à des individus ou à des communautés victimes d’injustice et de discrimination : lois injustes (racistes, sexistes…), inexistantes ou pas appliquées (abus de pouvoir, corruption…), pratiques ou traditions opprimantes (mariage forcé, harcèlement moral ou sexuel, prostitution, maltraitance, violence conjugale,  racket, corruption, … Ces problématiques mettent en jeu des relations de domination/soumission dans lesquelles, d’une part, la personne opprimée a peu de pouvoir du fait de sa vulnérabilité, de son ignorance, de sa dépendance physique, psychique ou financière et, d’autre part, la protection apportée par la loi est limitée (absence de loi, corruption, ignorance de la loi, etc.). Le théâtre-forum sensibilise alors le public à l’oppression qui est en jeu, favorise une meilleure compréhension des enjeux du conflit, et suscite une mobilisation individuelle ou collective pour faire évoluer la situation. Cette approche s’appuie sur une vision objective de l’oppression que l’on retrouve dans la définition suivante  : « Violation répétée et systématique, par les pouvoirs publics ou par un usurpateur, des principes constitutionnels et spécialement de ceux qui protègent les droits individuels ».

Le deuxième axe impulsé par A. Boal est l’articulation entre théâtre-forum et thérapie qui intègre une dimension plus subjective et intérieure de l’oppression : « difficulté d’une personne à respirer et gêne qu’elle ressent au niveau de la poitrine, gêne, malaise d’ordre psychique s’accompagnant au niveau de la poitrine d’une sensation de poids et d’une douleur sourde. ».  La sensation d’oppression n’implique pas nécessairement qu’il y ait, dans la réalité, une action d’oppression d’un individu ou d’un groupe sur d’autres. Comme le dit A. Boal, « l’oppresseur est peut-être simplement dans la tête », autrement dit, il se peut que l’on projette sur son entourage des intentions qui ne sont pas là ! Il se peut également que l’on soit perçu par l’autre comme oppresseur. La façon dont on interprète la situation est nourrie de sa propre expérience et de ce qui a été transmis par les générations précédentes L’analyse de la situation jouée contribue à l’éclairer pour distinguer ce qui est de l’ordre d’une oppression objective (rapport de forces déséquilibré, abus de pouvoir, loi injuste ou absence de loi) de ce qui est issu des représentations des protagonistes et des projections sur l’autre. Les expériences traumatisantes individuelles et collectives peuvent parasiter les perceptions du monde et arrêter le processus d’évolution comme nous l’avons vu dans la dynamique psychique.

En lien avec les deux pistes explorées par A. Boal, le théâtre au service de la lutte contre les oppressions et le théâtre au service de la thérapie, nous proposons une troisième voie complémentaire et spécifique : le théâtre-forum au service du développement relationnel.
Nos interventions s’inscrivent dans une société républicaine et démocratique : les lois y sont globalement respectueuses des droits fondamentaux de l’être humain et les citoyens peuvent les faire évoluer grâce aux multiples processus et instances démocratique (élections, recours, manifestations, droits de grève…). Dans ce contexte, l’approche du théâtre-forum se révèle particulièrement adaptée pour accompagner des groupes qui constatent un décalage entre leurs valeurs et leurs actes. Ils se plaignent de leur situation mais ne voient pas comment la transformer. Leur inconfort psychique peut venir du fait qu’ils se sentent victimes d’injustice et opprimés, mais aussi de l’écart entre ce qu’ils aimeraient faire et ce qu’ils font, du constat de leur impuissance à incarner leurs valeurs. Il ne s’agit donc ni de bouleverser un ordre social qui leur apparaîtrait comme injuste ni d’entamer un travail thérapeutique mais de progresser dans leur capacité à agir dans un monde complexe pour redonner du sens à leur vie.

Autres chapîres du livre  « Le théâtre-forum : une approche de développement relationnel » de l’ouvrage « Le monde change. Et nous ? »

 

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