L’écoute

L’écoute : signe de faiblesse ou capacité d’ouverture ?

En comparaison de l’expression, l’écoute est le parent pauvre de la communication au point d’ailleurs que le mot « communication » est souvent utilisé pour évoquer uniquement l’expression. Si cette dernière est enseignée depuis longtemps à l’école et dans les formations pour adultes, les formations à l’écoute sont encore rares et réservées au monde de la thérapie, du soin et de la relation d’aide. Comme si écouter allait de soi et ne s’apprenait pas ! Alors qu’on appelle timidité la peur de s’exprimer devant les autres, il n’existe pas de mot pour évoquer la peur d’écouter, ce qui en dit long sur la méconnaissance que l’on a de cette aptitude relationnelle.  Pourtant l’écoute est aussi vitale que l’expression. Ce sont deux polarités de la communication, aussi complémentaires que l’inspiration et l’expiration. L’expression sans écoute ressemblerait à une expiration qui ne serait pas suivie d’une inspiration… On en perd vite le souffle et la vie !

L’écoute est un art difficile car il consiste à ouvrir sa porte intérieure pour laisser entrer en soi ce qui vient de l’extérieur : des sons, des mots, des émotions, des points de vue… S’il est facile d’entendre des musiques que l’on aime, des points de vue proches des siens, des émotions agréables comme la joie ou l’amour, on peut être aussi meurtri ou affecté par ce qui nous parvient. On comprend alors mieux qu’écouter est au moins aussi risqué que de s’exprimer, et déclenche des appréhensions telles que la peur d’être envahi, de passer pour un  faible ou d’être influencé. L’écoute a mauvaise presse dans une société qui la confond avec la passivité et l’obéissance : ceux qui ont le pouvoir parlent et agissent, les autres se taisent et écoutent. De ce fait, chacun veut être entendu alors que personne n’écoute. La communication ressemble alors à un dialogue de sourds où les protagonistes cherchent à imposer leur point de vue et s’énervent de ne pas être écoutés… Chacun ressort conforté dans ses convictions et dans la légitimité de sa colère, persuadé de la pertinence de son combat pour faire avancer le monde. Mais en fait, cette communication, privée d’écoute, loin de faire évoluer les représentations, renforce les résistances et épuise les protagonistes dans un bras de fer souvent stérile.

Alors, comment donner à l’écoute sa juste place aux côtés de l’expression ? Le premier élément qui me semble essentiel consiste à dissocier l’écoute de la passivité et à lui reconnaître sa dimension réceptive. L’écoute n’est pas soumise à l’expression, elle lui est complémentaire : si l’écoute n’est pas là, l’expression bute contre un mur et s’avère vite brutale et intrusive, comme si l’on entrait chez quelqu’un sans sonner à la porte…  L’écoute est le « réceptacle » qui donne corps et sens à l’expression et, dans ce sens, elle précède la parole… En conséquence, si l’on veut s’exprimer et que l’on trouve porte close, plutôt que de vouloir s’imposer en force, il est souvent plus judicieux de différer ce que l’on veut dire pour commencer par écouter ! Ce mouvement peut apparaître à première vue comme une démission, voire une soumission ou de la lâcheté alors qu’il révèle en fait une maturité et nécessite une grande confiance en soi. Il s’agit de chercher à comprendre avant de chercher à convaincre, de lâcher pendant quelques instants sa « place », son point de vue, sa représentation du monde  pour venir se mettre à côté de l’autre et « vivre » la situation de sa place. On fait en quelque sorte, « le premier pas », on s’aventure les bras ouverts au risque de perdre son propre point  de vue, d’être touché ou influencé, de perdre ses repères. Cela nécessite de faire confiance dans le fait que, après s’être déplacé aux côtés d’autrui, on arrivera à l’emmener voir notre point de vue pour que chacun sorte de cette rencontre « modifié ». En renonçant à convaincre, on se donne ainsi et de façon paradoxale plus de chance d’évoluer et de faire évoluer les autres. Celui qui écoute reçoit de nouvelles informations, de nouveaux points  de vue qui le remettent en question, celui qui est écouté clarifie sa représentation du monde et est alors plus susceptible de la faire évoluer.

L’écoute s’apprend tout comme l’expression.  En s’aventurant dans l’écoute, on en découvre sa richesse et sa multiplicité : on peut écouter de façon fusionnelle comme une mère avec son nouveau-né ou au cœur d’une relation amoureuse, avec vigilance lorsqu’on perçoit un danger, avec attention pour se conformer à des consignes ou à des codes sociaux, de façon critique dans un débat ou encore avec empathie dans une relation d’aide. On peut moduler son écoute : fermer la porte si l’on se sent envahi ou au contraire l’ouvrir en grand et aller plus en profondeur. Et là réside, à mon sens, la deuxième clef de l’écoute :  A tout moment, on peut choisir d’ouvrir ou de fermer sa porte intérieure : être présent à  la colère ou la tristesse des autres sans en être affecté parce que l’on sait que l’écoute de ces émotions n’implique pas qu’on les partage ou qu’on y adhère, écouter un ordre sans pour autant s’y conformer, écouter une menace et s’appuyer sur la loi pour se protéger ou encore décider de ne pas écouter des propos malveillants qui ne nous concernent pas ou exprimer son manque d’intérêt ou de disponibilité.

Du coup, l’expression prend sa place de façon beaucoup fluide, non pas en force mais en relation. Le portail de la relation à soi et au monde s’ouvre et se ferme de façon plus subtile et consciente, prenant en compte aussi bien ce qui nous traverse que ce qui habite autrui.

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