Société et thérapie : de la névrose à la conscience

Société et thérapie : de la névrose à la conscience…

Chaque société transmet des valeurs, des croyances et des comportements et l’environnement familial et culturel structure le développement psychisme de l’individu : il peut générer des blocages mais également soigner des dysfonctionnements.
Pour mieux comprendre les enjeux actuels concernant la santé psychique, regardons de plus près le regard que la société lui porte au cours du XXème siècle.  Jusqu’au début du XXème siècle, la société occidentale est normative : elle assigne à chacun une place en fonction de son sexe et sa naissance et différencie clairement le Bien du Mal. L’individu doit se plier à la morale collective et se mouler dans la place qui lui est réservée. Cet environnement sociétal apporte une stabilité sécurisante et favorise un sentiment d’appartenance et de protection. En revanche, en punissant tout  comportement qui met en cause  « l’ordre social », il génère du refoulement : les sensations, émotions et pensées de l’individu qui ne rentrent pas dans le « moule » sont réprimées. Le déséquilibre psychique qui en découle est la névrose, à savoir un conflit psychique refoulé. L’individu est coupé en deux : il laisse voir ce qui est acceptable et cache ce qui est honteux. L’énergie psychique est inhibée et s’exprime sous forme pathologique : obsessions, phobies, transgressions… La prise en charge psychologique qui jusqu’alors était du ressort des religieux (exorcisme, confession…) passe dans les mains de la psychanalyse qui accompagne la prise de conscience des refoulements pour sortir des blocages.

Puis, au cours du 20ème siècle, la société normative fait place progressivement à une société de plus en plus rationnelle qui ne souhaite plus uniquement des citoyens obéissants se conformant aux valeurs et croyances collectives, mais des personnes instruites, qui développent une réflexion individuelle leur permettant de penser et même de voter ! La société se veut plus juste et égalitaire. Chacun est invité à évoluer (le fameux ascenseur social), à questionner et à réfuter les savoirs et hypothèses à coups d’argumentations pour démêler le vrai du faux, et à faire évoluer les savoirs et l’organisation de la société. On se réfère non plus à une Vérité révélée mais à une vérité objective qui s’accorde avec les faits observés.  Du coup, l’énergie psychique est mobilisée pour réussir, la curiosité de l’être humain peut s’exercer sans être brimée, on peut apprendre, comprendre, agir. C’est une première libération : lorsque les faits observés sont en conflit avec sa conception du monde, on cherche à comprendre. Mais l’avènement d’une société rationnelle et individualiste a apporté aussi quelques maux : d’une part, l’obsession de l’autonomie a mis à mal le sentiment d’appartenance, réduit les liens interpersonnels et sociaux et donc généré de la solitude ; d’autre part, la focalisation sur la compétition et la réussite individuelle, a engendré du stress et de la dépression. En effet, dans une société ou la compétition est ouverte à tous, où aucune porte n’est fermée a priori, on se doit de réussir pour être reconnu et l’on se sent responsable de ses échecs scolaires, professionnels ou même affectifs. L’individu se retrouve alors embarqué  dans une course en solitaire, dans un besoin de reconnaissance jamais satisfait et une perte du sens de sa vie. Dans une société rationnelle, ces « crises » sont interprétées comme un dysfonctionnement de l’appareil psychique qu’il s’agit de réparer, une pathologie dont le diagnostic et le soin sont du ressort de la psychiatrie
Le troisième courant, qui a vu le jour à la fin des années soixante, ne réduit plus l’individu à un « objet d’étude » qu’il faut analyser mais appréhende la personne dans sa globalité, sa subjectivité et son développement. La santé psychique consiste à devenir plus conscient de son état intérieur. Il ne s’agit plus de trouver la vérité objective mais d’être vrai, de mettre en accord et en cohérence son intériorité et ses actes sans se juger. Les sensations, émotions et pensées sont mises en lumière de manière à résoudre les dissonances et conflits psychiques. En acceptant sa propre subjectivité, on développe, du coup, l’empathie qui consiste à imaginer le point de vue d’autrui et à ressentir son intériorité. Cette vision de la santé psychique est issue de la psychologie humaniste, et non plus de la pathologie, invite à prendre soin de soi et des autres, sans attendre d’être malade !  Cependant, la nouvelle génération est moins névrosée mais plus intolérante à la frustration et dépendante de ses pulsions. La peur de blesser l’intériorité de l’enfant, le désir qu’il choisisse sa vie en conscience dès le plus jeune âge, la confusion entre frustration et souffrance génèrent nombre de « nourrissons géants », comme les appelle B. Cyrulnik, angoissés, hyperactifs, à la recherche de « doudous » sécurisants (conduites addictives) ou de sensations fortes (conduites à risques). Chaque culture a donc ses maux…

Ces trois visions du monde (normative, rationnelle et empathique) éclairent les conflits actuels sur la santé psychique, en particulier, en France, où une culture hyper rationnelle a induit une forte méfiance vis-à-vis des pratiques thérapeutiques intégrant le toucher, les émotions ou la spiritualité. Seule la psychanalyse est tolérée, du fait sans doute de son antériorité et de la prédominance donnée au verbe. Pourtant, ces trois visions, loin de s’opposer, viennent chacune apporter un élément essentiel à la santé psychique : la culture normative donne des repères collectifs clairs sur les comportements autorisés ou non, la culture rationnelle permet de soigner les pathologies psychiques et, enfin, la culture empathique favorise la connaissance de soi et l’empathie envers autrui, compétences essentielles au développement psychique sain L’enjeu actuel consiste à sortir de ces oppositions réductrices et épuisantes pour articuler avec souplesse leurs apports respectifs. Il en va de la santé psychique de chacun et de la société dans son ensemble !

Les commentaires sont clos.