Le groupe : frein ou support des apprentissages

Le groupe : frein ou support des apprentissages ?

Si l’on compare des photos prises dans des écoles au début du XXème avec des photos de classes actuelles, on observe bien sûr des changements dans l’habillement, le mobilier, le matériel pédagogique ou dans l’attitude du professeur et des élèves. Mais il est une chose qui n’a pas changé dans le système scolaire depuis plus d’un siècle, c’est la disposition de la classe : un enseignant face à une trentaine d’élèves. Cette constante montre à quel point on continue de privilégier dans  l’enseignement la relation entre le « maître » et les élèves, entre celui qui transmet son savoir et ceux qui le reçoivent. La classe semble alors se réduire à une juxtaposition d’élèves qui apprennent les uns à côté des autres. Le groupe est le plus souvent vécu par l’enseignant comme une contrainte imposée par des considérations économiques, un fait avec lequel il lui faut composer : parfois, il a la chance d’enseigner à des classes studieuses, motivées et calmes et il s’en réjouit  mais il lui arrive également de tomber sur des classes agitées, bavardes ou inertes dont il se plaint car elles viennent contrecarrer sa mission. Dans la majorité des cas, l’enseignant « subit » sa classe en tant que groupe parce qu’il ne « voit » pas les relations entre élèves et ne peut donc les gérer. Pire que cela, il a parfois, sans s’en rendre compte, des regards et des attitudes qui attisent les tensions et freinent les apprentissages.

La classe est un groupe et, comme tout groupe, elle a une dynamique qui lui est propre, de par la place que prend chacun et les relations qui s’établissent entre ses membres. L’enseignant en est le « chef » officiel de par son statut qui lui confère une place spécifique, mais, entre les élèves, se trament aussi des rapports de pouvoir, de rivalité, de soutien ou de coopération qui ont un impact sur le climat de la classe et sur les apprentissages.

Il y a déjà une centaine d’années, des pédagogies qu’on continue d’appeler nouvelles ( !) avaient déjà pressenti l’importance des relations entre élèves sur les apprentissages mais sans pour autant arriver à influencer la formation des enseignants dans ce sens. Il a fallu attendre que la violence se développe dans l’école pour qu’on commence à braquer les projecteurs sur les relations entre élèves.
Le premier constat qui a pu être fait concerne l’impact des brutalités ou harcèlements entre élèves sur leur développement psychique et intellectuel. Si un élève a peur, il lui est difficile de s’ouvrir aux apprentissages car, comme l’explique A. Giordan, apprendre nécessite de se remettre en question et requiert donc un climat de confiance et de sécurité. Les peurs de l’élève sont nombreuses, des peurs liées aux apprentissages (peur de ne pas savoir, peur de se tromper, peur de ne pas comprendre…), qui sont en fait liées au regard des autres (peur de passer pour un nul, peur qu’on se moque de lui, peur d’être rejeté, peur d’être blessé…). Ces peurs génèrent des réactions de méfiance et de fermeture destinées à se protéger en cas de danger et mobilisent une énergie qui se marrie mal avec une attitude réceptive et ouverte aux apprentissages.

Les enseignants cherchent à imiter cet impact négatif des relations entre élèves en posant des règles et en sanctionnant les comportements gênants. Une grande partie de leur énergie est focalisée sur les quelques élèves qui perturbent la classe ; ils cherchent à les faire évoluer, ou tout du moins à neutraliser leurs comportements sans nécessairement y arriver… Pire que cela, cette focalisation quasi permanente sur les élèves qui posent problème  leur donnent du poids et de la valeur puisque ce sont ceux dont on parle et dont on s’occupe… Le reste de la classe, ceux qui vont à peu près bien ou qui ont des problématiques plus intériorisées, sont alors moins soutenus et accompagnés…

Pour sortir de ce cercle vicieux, il est nécessaire de prendre conscience que l’élève n’est pas un individu séparé. Or, notre culture actuelle, et particulièrement, dans le monde de l’éducation, a porté ses efforts sur la prise en compte de chaque personne comme un être profondément singulier : on développe son autonomie,  sa capacité à penser par lui-même, son libre-arbitre, on ne cesse de lui demander ce qu’il veut faire dans la vie, quelle orientation il veut prendre, quels sont ses projets. On l’évalue individuellement et lorsqu’il échoue, on recherche dans sa trajectoire individuelle ce qui a pu en être la cause. On en a oublie que l’élève est aussi membre d’une classe et que son comportement est nécessairement influencé par ce groupe qu’il retrouve au quotidien. Comme on l’a vu, cette influence peut se révéler problématique, mais elle peut également devenir un support des apprentissages.

De nombreuses études commencent à s’intéresser à l’impact positif du groupe classe sur l’évolution de chaque élève, comme par exemple l’ouvrage collectif « Le défi éducatif » . On a pu montrer, par exemple, que lorsqu’un élève ne comprend pas une explication de l’enseignant, il a plus de chance de comprendre si un autre élève lui réexplique plutôt que le maître. Chaque élève détient des parcelles (certes parfois très minimes…) de savoir mais également des stratégies d’apprentissage. Le sentiment d’appartenance au groupe joue également sur la motivation : ai-je envie de partager mon savoir avec ce groupe ou suis-je en rivalité avec ceux qui le composent ? Les comportements qui gênent le groupe démontrent la plupart du temps une incapacité, une peur ou un refus de prendre sa place dans la classe, dans une dynamique d’apprentissage et de coopération.

Plutôt que de vouloir transformer un élève qui pose problème en focalisant son attention sur lui, il est souvent plus efficace de porter son attention sur la classe, sur les relations entre élèves, de manière à modifier la dynamique du groupe.
Animer un groupe classe demande une formation qui manque cruellement à la formation initiale des enseignants.   Mais on peut déjà en dessiner les grandes lignes :

  • Dès le début de la constitution du groupe, diminuer les comportements agressifs ou fuyants, souvent liés aux peurs, par des  jeux et exercices qui favorisent les rencontres,
  • Donner des règles claires sur les rôles de chacun, les responsabilités, les droits, les devoirs, les sanctions encourues,
  • Générer un sentiment d’appartenance par des projets
  • Permettre et accompagner les travaux en petits groupes basés sur la coopération et le soutien.

 

Des lors que les enseignants sont à même de « voir » les relations entre les élèves, ils ne se retrouvent plus seuls face (et parfois contre..) une trentaine d’élèves. Ils se retrouvent « guide » d’un groupe dans lequel chacun peut participer à la transmission et au partage du savoir.
(1)  MC Toczek, D. Martinot, Le défi éducatif, Ed A. Colin, 2004

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