» Qui aime bien châtie bien » dit le proverbe porteur de toutes les ambiguïtés qui entourent la sanction : est-elle un acte éducatif envers celui qui fait un pas de travers ou une porte ouverte à la cruauté, voire à la maltraitance ? Permet-elle la prise de conscience ou enferme-t-elle dans la soumission et le ressentiment ? Sous quelle forme et dans quelles conditions la sanction peut-elle devenir éducative ?
Quelques mots d’histoire pour prendre conscience de notre héritage : jusqu’au milieu du XXème siècle, à l’école comme en famille, les adultes n’hésitent pas à menacer, frapper, isoler, humilier, exclure pour se faire obéir. Eduquer se résume à sanctionner : : l’expiation (coups ..) purifie par la douleur que l’on inflige au corps; le bannissement (piquet, cachot …) isole et exclut ; le signe distinctif (bonnet d’âne, …) singularise l’élève et l’humilie ; quant à la répétition (les fameuses 100 lignes…), elle vise à façonner l’enfant dans le moule…
Le seul objectif est l’obéissance absolue et l’on ne se soucie guère des éventuels dégâts physiques, intellectuels et psychiques qu’elle occasionne. Nombre d’adultes s’interrogent sur la place donnée à la sanction dans l’éducation : entre les coups et humiliations que certains ont connus dans leur enfance et les lois qui posent des limites aux sanction, que faire ?
A quoi sert la sanction ?
La sanction se réfère à des valeurs et donc à des règles énoncées par la société, l’école, les parents. Elle est un “moyen destiné à assurer le respect de l’exécution effective d’un droit ou d’une obligation ”.
Voici quelques exemples de comportements « sanctionnables » :
- Julie (5 ans) dessine sur le mur avec ses feutres
- Anthony (13 ans) a apporté un couteau au collège et s’amuse avec dans la cour de récréation
- Carole (7ans), en colère contre son frère, a déchiré un de ses livres
- Jean (6 ans) a craché sur une de ses camarades
- Damien (8 ans) s’amuse à soulever la jupe des filles
- Sylvain (11 ans) a insulté sa mère
- Emilie (17 ans) a frappé un enseignant
Pour que la sanction ait un effet éducatif, il faut que la personne connaisse et comprenne la règle, et qu’elle soit à même de faire autrement.
“ Demander à l’enfant le pourquoi de son geste, revenir sur la transgression et ses conséquences, demander, écouter mais aussi expliquer ce que l’on refuse, car sanctionner sans que la sanction soit comprise (ou puisse être tôt ou tard comprise) c’est tout simplement sévir. (du latin saevus qui signifie cruel). ”
L’être humain apprend, expérimente et se trompe. Si l’adulte accepte que l’erreur fasse partie intégrante du processus d’apprentissage, il peut supporter plus sereinement les faux pas. Plutôt que de culpabiliser l’enfant, de le rejeter ou de l’humilier, il focalise son attention sur l’évolution possible de l’enfant, sur sa responsabilisation. La sanction éducative est tournée vers l’avenir.
Si le droit à l’erreur est important, il est également essentiel que l’enfant accepte progressivement que ses actes ont des conséquences dont il est responsable. Il doit apprendre à se maîtriser, anticiper, réfléchir et prendre soin de soi, des autres et de la planète. Cette progression se fait de gré par le dialogue et de force par la loi et la sanction.
C’est pas grave : il est plus petit, c’est une fille, il est même pas du village, il comprend jamais rien, même le prof il le dit, on faisait juste cela pour rigoler, c’est une chochotte etc…
La sanction oblige l’enfant à prendre en compte le point de vue des personnes qui ont autorité sur lui. D’où l’importance de s’assurer que la règle et la sanction ne sont pas des contre-violences.
Les formes de sanctions éducatives
Pour amener l’enfant à plus d’humanité, la sanction doit être compatible avec la dignité humaine. Elle peut s’incarner sous forme de frustration, de mise à l’écart ou de réparation.
La frustration
Le ressort de la sanction éducative peut être la frustration. Le message que l’adulte lui donne alors est celui-ci : “ puisque tu n’as pas respecté la règle, alors tu perds le bénéfice que prévoyait cette règle ”.
Acte : L’enfant a cassé, dérangé, pris sans permission, perdu un objet.
Sanction : Il n’a plus le droit d’utiliser ces objets tout seul ou sans permission.
Acte : L’enfant a enfreint une règle : il est en retard, il a bu, fumé, il s’est battu…
Sanction : Il perd le bénéfice que lui permettait la règle : autorisation de sorties, loisirs…
En grandissant, l’enfant acquiert de plus en plus de liberté. En lien avec cette liberté, l’enfant doit se responsabiliser. Lorsqu’il use de sa liberté en n’assumant pas la responsabilité qui va de pair, alors la sanction vient le rappeler à l’ordre. La sanction est d’autant plus efficace qu’elle est en rapport avec l’acte commis. Grandir et se socialiser, c’est apprendre à gérer la frustration qui naît des règles physiques et sociales. Si les adultes ne se chargent pas de mettre des limites, c’est la vie qui s’en chargera et souvent de manière plus brutale : conduites à risques, difficultés relationnelle, intolérance à la frustration…
La mise à l’écart
Mettre à l’écart est une sanction éducative si l’objectif n’est pas d’exclure l’enfant mais de lui donner l’occasion d’un retour sur soi, comme le préconisait Rousseau. Dans le calme et le silence, l’enfant se retrouve seul avec lui-même. Cette mise à l’écart lui facilite alors le travail d’introspection. Il peut alors plus facilement s’ouvrir au point de vue de l’autre. La mise à l’écart est socialisante si l’enfant revient dans le groupe en envisageant la situation sous un autre angle intégrant le point de vue de l’autre. Elle ne doit pas être présentée comme une humiliation (tu retournes dans la classe des bébés puisque tu es un bébé…), un rejet (va-t-en je ne t’aime plus, tu es trop méchant) mais comme une aide. D’ailleurs certains enseignants utilisent cette mise à l’écart de façon préventive : ils prévoient un lieu qui s’apparente à un refuge où les enfants vont de leur plein gré quand ils sentent que la tension monte et qu’ils risquent d’enfreindre les règles. De même dans certaines familles, la chambre est un lieu de retour sur soi dans lequel les autres ne rentrent pas sans y avoir été invités.
La mise à l’écart n’a de sens que si elle permet à l’enfant de réintégrer le groupe. Le temps de mise à l’écart dépend en fait de la capacité de l’enfant à accepter la règle et à s’ouvrir au point de vue de l’autre.
La réparation
Passer d’une sanction subie à une sanction active, c’est aller vers la réparation. La réparation est orientée vers autrui. Elle transforme la peine en un effort. Pour évoquer le concept de réparation, nous nous appuierons principalement sur les réflexions et l’expérience de la canadienne D. Chelsom Gossen :
“ Souvent la punition ne réconforte ni la victime ni le coupable et elle laisse aux deux un sentiment d’échec. (…) la punition confirme la faute mais provoque la culpabilité ou la colère chez le fautif. Elle ne lui donne pas les moyens de réparer les torts commis ni d’offrir à la victime ce qu’elle considérerait comme une juste compensation. ”
Pour qu’une réparation soit réussie, il faut réunir les trois conditions suivantes :
- La victime accepte la compensation proposée,
- Le fautif accepte de faire un effort pour réparer son erreur.
- La réparation a un rapport avec l’erreur, elle aide l’enfant à intégrer la règle qui a été enfreinte.
L’adulte s’efforcera donc d’imaginer avec l’enfant des actions qui puissent “ réparer ” ce qui a été fait, de façon physique, matérielle ou psychique et également.
Le moment de la sanction
La sanction peut être immédiate et/ou différée. La sanction est immédiate lorsque la règle a été posée clairement et que l’enfant refuse de la respecter. Elle permet aux enfants de vérifier que les adultes sont capables d’appliquer les règles dont ils sont garants.
Tant que les enfants n’arrivent pas à se mettre d’accord sur l’utilisation de l’ordinateur, ils n’ont pas le droit de s’en servir (frustration).
Lorsqu’un enfant frappe intentionnellement un de ses frères ou sœurs, il va dans sa chambre pendant un certain temps (isolement).
La sanction peut également être différée, donnant ainsi du temps à l’adulte. Parfois, sous le coup de la colère, l’adulte “ promet ” une sanction qui lui paraît ensuite démesurée ou inadaptée. Il est alors coincé entre le maintien de la sanction pour rester crédible ou sa modification qui décrédibilise. Ce temps lui permet de confronter sa position avec d’autres adultes (conjoint, ami, collègue, ..) afin d’éviter l’abus de pouvoir et d’être juste.
Dans un établissement scolaire, lorsque l’élève enfreint les règles, l’enseignant l’informe qu’il va demander une sanction à son égard. Il donne au responsable de la vie scolaire une fiche indiquant le pourquoi de la sanction et la sanction demandée. Le responsable de la vie scolaire rencontre l’enfant. La plupart du temps l’enfant reconnaît sa responsabilité et accepte la sanction proposée, parfois l’enfant la trouve injuste : “ le professeur était énervé, c’est tombé sur lui alors qu’il n’avait rien fait. ”. Le responsable de la vie scolaire en parle à l’enseignant qui reconnaît en général le caractère partial de la sanction et accepte de l’alléger.
Certains parents évitent de donner des sanctions sous le coup de la colère et attendent que leur conjoint soit là.
Différer une sanction comporte cependant le risque de laisser un acte impuni : on ne sait pas comment sanctionner, on n’en a pas les moyens, on a d’autres priorités….
Une instance de sanction : le conseil de discipline
L’objectif d’un conseil de discipline est triple : faire prendre conscience à l’enfant de la gravité de son acte, décider de la sanction méritée et trouver des solutions permettant à l’enfant d’évoluer. Pour être éducatif, un conseil de discipline doit présenter clairement et sans haine les actes qui sont reprochés à l’enfant ou l’adolescent. Les faits doivent être éclairés aussi bien par les personnes qui ont eu à subir le comportement (enseignants, camarades, etc.) que par ceux susceptibles d’expliquer le comportement reproché et lui trouver des circonstances atténuantes (l’enfant lui-même, les délégués de classe, les parents, certains adultes de l’établissement). Il doit donner lieu à discussion. La sanction est ensuite prononcée par les adultes de l’établissement dont c’est la mission, avec éventuellement la collaboration de l’enfant.
En conclusion, la sanction fait partie de l’éducation. Elle est le point d’arrêt nécessaire quand l’acte a été commis. Pour que cette sanction soit éducative, les adultes doivent être capables de frustrer, d’interdire, de mettre des limites de façon ferme, claire et juste sans basculer dans la vengeance et la cruauté.