La phobie des sectes

La phobie des sectes : De quoi avons-nous peur ?

Cette nouvelle perspective émerge particulièrement dans le monde de la médecine et de l’éducation. Des médecins comme T. Janssen , D. Servan-Shreiber  ou F. Rosenfeld  revisitent avec intelligence certaines pratiques traditionnelles (chamanisme, médecines tibétaines et hindoues, etc.) en les passant au crible de la raison. Une nouvelle discipline médicale, la « psycho-neuro-immunologie », étudie les interactions entre le psychisme et les systèmes neurologiques, immunologiques et endocriniens de l’individu.

Du côté de l’éducation, on s’intéresse à l’interaction entre apprentissage et socialisation, à l’articulation entre émotions et réflexion et au développement des compétences relationnelles comme la connaissance de soi, l’empathie ou la capacité à gérer les conflits. Et c’est grâce à ce développement psychique qui s’enseigne depuis déjà de nombreuses années dans le Nord de l’Europe, au Canada ou aux Etats-Unis, que le citoyen acquiert du discernement et est donc moins sujet aux manipulations de toutes sortes : celles des sectes mais également, et de façon souvent plus fréquente et dramatique, celles des copains, de la famille ou de l’environnement professionnel.

Plutôt que de vouloir décider pour le citoyen de ses choix concernant son éducation, sa santé ou sa spiritualité, il se révèle plus efficace de lui enseigner en quoi sa réflexion mais également ses sensations, ses émotions ou ses intuitions sont des ressources pour l’aider à prendre soin de lui. Muni de cette « boussole intérieure », il peut aller à la rencontre de différentes représentations du monde, même sectaires, sans pour autant se laisser enfermer. Aussi, plutôt que de stigmatiser et interdire certaines croyances et pratiques qui risquent alors de se propager dans l’ombre, il est plus judicieux de mettre en lumière, par le dialogue, leurs apports et leurs risques. Et pour cela, il est essentiel d’aller au-delà de la raison, sans pour autant la rejeter, et de prendre en compte la dimension psychique subjective.

La France est le pays occidental qui met le plus d’énergie à combattre les sectes afin de protéger les citoyens d’éventuelles manipulations mentales ou escroqueries. Ce combat, relayé par les media, a fortement influencé les Français qui sont souvent persuadés qu’on peut se retrouver pris dans les mailles d’une secte en faisant ses courses, en prenant un cours de yoga, en entreprenant une thérapie ou en inscrivant son enfant dans un atelier de théâtre… Tentez l’expérience : faites part à vos proches des soupçons de secte qui pèsent sur tel magasin ou association et vous verrez leur regard se remplir d’inquiétude et de suspicion. Même des personnes instruites et cultivées semblent perdre leur esprit critique et participent à la propagation de rumeurs infondées et diffamatoires comme celle qui continue de toucher le magasin « Natures et découverte ». Les mots secte et gourou génèrent des fantasmes particulièrement forts dans notre pays où la culture rationnelle est pourtant très présente.

Pour expliquer ce paradoxe, il est nécessaire de revenir sur certaines évolutions survenues au siècle dernier. Les générations précédentes ont particulièrement oeuvré pour que la démarche rationnelle et logique vienne remplacer la magie et les dogmes. Il a fallu, pour faire reculer l’ignorance et l’obscurantisme, séparer l’église et l’état, rendre l’instruction obligatoire, former médecins et enseignants à la démarche scientifique… Cette volonté politique s’est concrétisée par des avancées considérables dans le domaine de l’instruction, de la santé, de la justice ou de la consommation mais elle a également participé au développement d’un société individualiste, compétitive et matérialiste. La survalorisation de la raison et de l’objectivité, au détriment du corps, des émotions et de l’expérience subjective, a «désenchanté » le monde. Nombre de citoyens ne se retrouvent plus dans une médecine qui soigne les maladies plus que les malades, dans une école qui réduit les élèves à leur seule réussite scolaire ou dans un système économique préoccupé principalement de réussite financière à court-terme. Ceci explique sans doute le succès grandissant des médecines alternatives, de la psychothérapie, du développement personnel, des approches psycho corporelles (massage, yoga, tantra, tai shi, chi kong…) ou spirituelles (bouddhisme, le chamanisme…). Elles dénotent un besoin fort de réintégrer dans sa vie l’expérience sensorielle, émotionnelle et spirituelle afin de redonner du sens.

Le courant rationnel se bat contre ces pratiques alternatives parce qu’il les perçoit comme une régression, un retour à des croyances irrationnelles et magiques. Lui qui prône l’autonomie de pensée et le libre-arbitre, il voit d’un mauvais œil la relation entre « gourou » et disciple, lui qui focalise son attention sur les faits et l’objectivité, quel intérêt pourrait-il trouver à ces groupes de paroles où l’on échange son expérience et son ressenti ? Il confond, en fait, les pratiques pré rationnelles qui présentent effectivement un danger de manipulation ou d’emprise psychique avec une évolution post-rationnelle qui ne place plus la raison au centre mais l’intègre comme un des éléments du psychisme, au même titre que les sensations, les émotions ou les intuitions.

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