Adapter son autorité à l’âge de l’enfant

Adapter son autorité à l’âge de l’enfant à la lumière de la spirale dynamique

De Véronique GUERIN, psychosociologue, auteure du livre A quoi sert l’autorité ? S’affirmer, respecter, coopérer, aux éditions Chronique Sociale (2001) et  co-auteur avec J. Ferber de le monde change… Et nous ?, aux éditions Chronique Sociale (2008), réalisatrice du DVD « Je pleure ou je tape ? Le développement relationnel de l’enfant de 0 à 3 ans ».

 

« Ça suffit maintenant, je te l’ai déjà dit, tu ne touches pas à ce tiroir. Mais c’est pas vrai, tu m’écoutes quand je te parle ? ». Il n’écoute rien, il me cherche, il me provoque : tels sont les mots que l’on entend souvent dans la bouche des parents ou des professionnels de la petite enfance.
On a beau dire, redire et expliquer, il semble difficile de leur faire entendre raison. Qu’ont-ils donc dans la tête, ces petits ? Que comprennent-ils de ce qu’on leur explique ? La réponse à cette question n’est pas aussi simple qu’il y paraît pour deux raisons : d’une part, on n’a pas accès à leurs représentations intérieures mais juste à leurs comportements, d’autre part, notre  regard est filtré par notre propre manière de voir le monde que l’on projette sur l’enfant. En fait, il s’avère aussi difficile pour un adulte de se mettre dans la peau d’un petit enfant que pour un habitant du XXIème siècle de s’imaginer les croyances et les pensées des habitants du Moyen-âge… C’est une étape de développement par laquelle l’individu comme la société sont passés, il y a longtemps, mais qui a été « recouverte » par de nombreuses expériences et compétences.
Cette difficulté est source d’attitudes parfois inadaptées  chez les parents ou professionnels : des exigences trop fortes ou brutales ou à l’inverse un environnement surprotecteur qui, dans les deux cas, freinent le développement de l’enfant et épuisent l’adulte.
Pour accompagner au mieux l’enfant dans cette maturation, il est donc essentiel de trouver des repères.  Le modèle de la spirale dynamique  se révèle particulièrement pertinent pour mieux appréhender les capacités de l’enfant en fonction de son âge car il décrit des étapes de développement qui apparaissent de façon progressive, dans la lignée de  J. Piaget (compétences cognitives) ou de L. Kohlberg (compétences morales).
Le développement de l’être humain s’articule autour de deux axes complémentaires :
§ la singularisation : se différencier pour devenir un être unique et singulier,
§ la relation :  se rapprocher des autres et se socialiser.
Les étapes du développement se situent alternativement sur un axe et sur l’autre dans un mouvement de spirale comme le montre le dessin suivant.

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Figure 1. La spirale de développement
Le stade instinctif


De sa naissance à environ 5 mois, le bébé est mû par l’instinct de survie. Ce premier stade se situe sur l’axe de la singularisation : à sa naissance, le bébé devient un être physique différencié qui reçoit un nom. Le cordon ombilical est coupé et le voici sorti de la matrice nourricière. Le bébé dépend entièrement de son entourage pour survivre et n’a pour s’exprimer que des moyens rudimentaires : pleurs, cris, sourire aux anges…  Il est dans une étape de « toute-vulnérabilité ».
Ce premier stade correspond au stade sensori-moteur de Piaget. Le bébé cherche à satisfaire ses besoins de façon très instinctuelle par des actions réflexes : il sait téter, trouver le sein et son pouce. Il réagit aux stimuli environnementaux mais ne  fait pas encore de distinction entre lui et le monde. Sa relation au monde est principalement kinesthésique et la manière dont on le touche, dont on le prend dans les bras et le nourrit est essentielle comme l’ont montré les expériences d’haptonomie.
Le stade fusionnel


Le stade fusionnel dure environ de 4 mois à 2 ans. Le bébé réalise progressivement la différence entre le monde physique « au dehors » et son existence propre : il reconnaît ses mains et ses pieds comme faisant partie de son Moi physique. Cependant, il reste en fusion émotionnelle avec son entourage, et plus particulièrement avec sa mère : il croit que le monde ressent ce qu’il ressent, veut ce qu’il veut, voit ce qu’il voit. Il projette ses sentiments et ses intentions sur les objets : le doudou est gentil car il console, et la chaise est méchante car elle fait mal. C’est l’âge de la peur du noir, des cauchemars. Tout peut devenir source d’enchantement mais également d’épouvante.
Cette étape va de pair avec un approfondissement du stade sensori-moteur défini par Piaget. La perception du monde reste surtout sensorielle mais l’enfant coordonne mieux   la vision et la préhension : il prend des objets de façon intentionnelle et teste les effets de ses actes (la petite cuillère jetée pas terre des dizaines de fois…). Il commence à marcher, son territoire s’agrandit et il gagne en autonomie. Il est partagé entre la demande de bras protecteurs et le désir de s’aventurer seul dans le monde.
Il a besoin d’objets transitionnels (le « doudou »), de rituels d’endormissement ou de séparation pour bâtir une sécurité intérieure même quand la figure réelle de la protection n’est pas présente.
Le stade égocentrique


Entre 2 et 5 ans environ, l’enfant découvre le courage de s’affirmer et le plaisir d’obtenir satisfaction. C’est l’émergence du Moi Psychique, la prise de conscience d’être ‘Je’…
Ce stade correspond au stade préopératoire décrit par Piaget. L’enfant appréhende le monde au travers des symboles : il peut imaginer quelqu’un d’absent et imiter une action en différé. Mais sa perception égocentrique limite sa compréhension du monde : il croit que tout a été fabriqué par les humains (artificialisme), il mélange les lois physiques et morales (ex : les bateaux flottent parce qu’ils sont gentils), il croit que les évènements ont un but (ex : les nuages avancent dans le ciel pour apporter la pluie).
Son affirmation est impulsive : il tente d’imposer ses désirs par la force, supporte mal la frustration et déteste que le monde (et les autres !) lui résiste !  Il teste sa puissance mais aussi ses pouvoirs magiques… Son monde est empli de héros capables de changer la réalité quand ils le désirent…
Comment passer ce cap difficile ? L’enfant de cet âge est peu accessible à la raison. Aussi, est-il inefficace de s’évertuer à lui expliquer en détails le pourquoi des règles. L’enfant a besoin que sa puissance d’affirmation soit reconnue et valorisée mais aussi canalisée pour éviter qu’elle ne blesse. La tâche n’est pas si difficile que cela car l’adulte a des ressources bien supérieures à celles de l’enfant : sa force physique et son intelligence. Si l’enfant a besoin de bouger, de sauter,  de crier, super ! mais dehors ou dans un coin autorisé, s’il veut frapper super ! si c’est sur l’oreiller ou le ballon, s’il veut mordre super ! mais dans la pomme. C’est l’approche de l’aïkido : il ne s’agit pas de « casser » ou de bloquer la puissance de l’enfant car elle est essentielle à son développement, mais de la canaliser.
Le stade normatif


L’enfant traverse entre 5 et 9 ans environ le stade normatif qui répond au besoin d’apaisement qu’apporte un monde ordonné et protecteur dans lequel chacun a une place et un rôle à jouer. Son impulsivité lui joue des tours et il se heurte régulièrement, et parfois avec fracas, aux lois physiques (le feu brûle, les objets tombent…) et aux lois sociales (on ne mord pas, on attend, on partage…). Il a besoin de savoir ce qui est bien ou mal, interdit ou autorisé. La parole des adultes devient la référence : « papa a dit que », « la maîtresse a dit que… ». Il accepte de jouer son rôle d’enfant dans une pièce écrite et mise en scène par les adultes si les autres acceptent aussi ces règles du jeu… . Il lâche les bénéfices de la puissance, devient sensible à l’ordre pour « vivre plus en paix ». Il est même parfois plus royaliste que le roi : il s’offusque si l’on change un mot dans un conte qu’il connaît par cœur et dénonce avec véhémence les infractions aux règles.
Les repères ainsi donnés lui permettent de déposer les armes et de s’intégrer dans un univers structuré et prévisible dans lequel il peut apprendre. Plutôt que de limites, ce dont a besoin l’enfant à ce stade, c’est d’ordre et de repères dans l’espace, le temps et les rôles de chacun. L’adulte l’aide en restant présent, bienveillant et ferme lorsque l’enfant est débordé par ses pulsions et ses émotions. Il peut le contenir physiquement avec bienveillance pour le protéger ou l’empêcher de nuire et plutôt que de dire « je ne suis pas d’accord, ça n’est pas possible », expressions négatives qui restent focalisées sur « l’objet interdit », il peut guider son attention vers d’autres objets ou évènements. Cela l’aide à traverser la frustration, d’autant plus qu’à cet âge là, l’enfant passe facilement d’un intérêt à un autre, d’une émotion à une autre.
Comme on le voit, dans les différentes étapes présentées, la raison n’est pas encore une ressource accessible. Ce n’est que vers 6-7 ans que l’enfant acquière une pensée plus argumentée et cohérente et encore plus tard qu’il développera l’empathie.
Plus l’adulte prendre en compte les capacités de l’enfant, plus son autorité devient efficace et bientraitante. Il aide l’enfant à consolider les ressources que chaque étape lui apporte et il peut accompagner plus sereinement les passages d’un stade à l’autre, moments de « crise » où l’enfant aimerait tout à la fois grandir et rester petit…

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