Trois clefs  pour préserver l’élan vital du petit enfant : le regard, le toucher, la voix

Qu’est-ce que l’élan vital ?

L’élan vital est ce désir inextinguible qu’a le petit enfant d’explorer aussi bien le monde extérieur que son corps, son insatiable curiosité qui l’invite à observer, sentir, toucher avec enthousiasme. C’est le moteur de son développement, de ses apprentissages, de la compréhension progressive de son environnement et de lui-même. Préserver cette énergie de vie est donc un enjeu majeur de l’accueil des petits enfants.

De quoi le petit enfant a-t-il besoin pour préserver cet élan vital et s’aventurer dans la vie avec confiance et ouverture ?

Avant tout, de se sentir en sécurité : sécurité physique bien sûr mais également sécurité affective et psychique : le monde est-il un passionnant terrain d’aventures ou une jungle dangereuse ? Est-ce que je me sens suffisamment aimé pour garder confiance en moi et dans la vie même au cœur de la peur et du doute ? Suis-je capable de me relever quand je tombe et me fais mal ? Suis-je capable d’apprendre sur moi et sur le monde au travers de mes expériences au quotidien ? Un enfant qui a peur n’apprend pas à prendre soin de lui et des autres, il perd sa confiance et sa créativité et tente simplement de retrouver de la sécurité en faisant ce que l’adulte lui demande. Loin de développer sa boussole intérieure qui le guidera dans la vie, il renonce progressivement à se connaître et à évoluer pour se conformer aux attentes des adultes.

Comment l’adulte peut-il soutenir le besoin d’exploration de l’enfant et sa sécurité intérieure ?

La plupart des adultes qui entourent l’enfant ont une intention bienveillante et ils pensent agir pour le bien de l’enfant. Mais, souvent ignorants des besoins de l’enfant et peu conscients de leurs propres peurs et blessures, ils participent inconsciemment à la détérioration de l’énergie vitale de l’enfant.

Certaines attitudes sont particulièrement déstabilisantes pour l’enfant : les phrases humiliantes, la brutalité du ton et des gestes, le rejet le blessent et atrophient son énergie de vie. Certes, l’enfant va adapter son comportement aux exigences de l’adulte parce qu’il est dépendant de lui et a besoin de se sentir aimé. Mais ces « résultats à court-terme » s’accompagnent d’une perte progressive de l’estime de soi et de la capacité à s’affirmer et à vivre pleinement sa vie.

Les trois clefs essentielles que l’adulte peut explorer pour accompagner l’enfant sont le regard, le toucher et la voix car elles expriment l’état intérieur de l’adulte et transmettent de façon très directe à l’enfant des messages d’amour ou de jugement.

Regarder l’enfant avec bienveillance

C’est d’abord dans le regard de ses parents et de son environnement proche que l’enfant peut se sentir aimable et aimé : un regard protecteur, bienveillant qui accueille sa vitalité et son intérêt insatiable pour la vie.

On prête souvent au petit enfant des intentions négatives « Il me provoque, il est égoïste, il est violent… ». Ces jugements sont souvent erronés et témoignent d’une méconnaissance de son processus de développement. L’enfant est curieux de tout et particulièrement de l’impact de ses gestes sur son environnement, les objets bien sûr (la fameuse cuillère qu’il jette par terre inlassablement, le bouton qui déclenche de la musique, la montagne de légos qui s’écroule…), mais également des réactions des personnes (maman qui crie quand je m’approche de la porte, le copain qui pleure quand je le tape…). Tout est expérience, sans qu’il y ait encore d’évaluation des dégâts possibles occasionnés. Tout est apprentissage « sur le tas » en interaction avec l’environnement. Dès lors que l’adulte reconnaît à l’enfant son désir d’explorer et d’apprendre à son rythme et à sa manière, ce regard bienveillant devient possible. L’adulte intervient moins souvent car il est curieux de la manière dont l’enfant fait ses propres expériences et confiant dans sa créativité et dans ses ressources intérieures.

Quand est-il nécessaire d’intervenir ?

Quand il y a danger, en prenant soin de s’assurer que le danger est bien réel et non pas imaginé du fait d’une peur ancienne.

Quand l’enfant exprime un besoin d’aide par le regard, un geste. Intervenir ne veut pas dire faire à la place de l’enfant mais explorer avec lui ce qu’il vit, l’émotion qui le traverse, la difficulté qu’il rencontre.

Quand l’adulte perçoit chez l’enfant le besoin qu’on prenne soin de lui : lui donner à manger, le changer, le laver…

L’enfant reçoit alors régulièrement le reflet de ce qu’il est : un être aimable et aimé, invité à explorer l’incroyable terrain d’aventures qu’est la vie, à en apprendre progressivement les lois naturelles (la gravité, le temps…) et les lois sociales relatives à son époque, à la culture dans laquelle il débarque. L’intention bienveillante de l’adulte est essentielle pour que ces interventions préservent son énergie vitale. Elles font appel à la deuxième clef qu’est le toucher conscient.

Toucher l’enfant avec respect

L’enfant, parce qu’il est dépendant de son environnement, est fréquemment pris dans les bras et touché physiquement. La manière dont il est touché va influencer sa propre capacité à toucher les autres. Toucher un enfant, c’est entrer dans son intimité, dans sa bulle personnelle. Il ne s’agit pas juste d’accomplir une tâche mais d’entrer en relation, de façon consciente, avec un être vivant. Certains touchers apaisent, d’autres agressent et insécurisent. Est-ce à ses propres besoins que l’adulte répond lorsqu’il touche l’enfant ou à ceux de l’enfant ? Le fait-il de façon mécanique, voire brutale ? Le corps à corps, le « peau à peau » aident l’enfant à sentir son propre corps et à explorer l’effet du contact avec un autre corps. Il peut avoir besoin de se blottir dans les bras de l’adulte pour se sentir en sécurité, ou besoin d’espace, de bercement ou d’immobilité, de tendresse ou de massage, ou de jouer à la bagarre pour sentir sa propre puissance. Respecter l’enfant nécessite d’être à l’écoute des réactions de du corps de l’enfant mais également de ses propres émotions : suis-je disponible à ce qui se passe ? Et si je ne le suis plus, puis-je trouver du soutien autour de moi pour prendre soin de cet enfant ?

Pour développer cette présence à la relation, l’adulte peut s’aider de paroles qui décrivent :

des faits : je vais changer ta couche, tu pleures, on va partir à la crèche, tu joues avec la poupée,

ce qu’il semble ressentir : tu es en colère parce que tu n’arrives pas a te mettre debout ? tu n’as pas envie de manger ? tu es triste parce que ton frère ne veut pas jouer avec toi ? tu aimes jeter l’oreiller par terre ?

ce que l’adulte ressent : je suis fatigué, c’est difficile pour moi de te porter, j’ai peur que tu te fasse mal, j’en ai assez d’attendre

Sous réserve que ces paroles soient dites avec bienveillance, elles aident l’enfant à créer du lien entre les sensations de son corps, ses émotions et ses pensées. Il développe ainsi progressivement, la conscience de lui-même mais également la capacité à canaliser son énergie de vie pour prendre soin également des autres et de son environnement.

Plutôt que de vouloir réprimer son énergie de vie par le contrôle, il est essentiel de reconnaître et d’accompagner l’expression de sa vitalité. Crier, courir, frapper, mordre sont des manifestations magnifiques de cette vitalité. Il s’agit simplement de l’aider à se familiariser avec cette énergie, à orienter la direction, pour qu’elle s’exprime de plus en plus consciemment. Lorsque l’adulte peut accueillir sans jugement l’intention de l’enfant, il peut alors transformer en exploration ludique son énergie de vie : jouer à frapper un coussin ou un punching-ball, crier dehors, mordre une pomme…

Plus que les mots, le ton de la voix

La voix est la troisième clef pour accompagner l’enfant. Au-delà des mots prononcés, c’est le ton de la voix que l’enfant perçoit : amour ou irritation ? Une voix empreinte de colère a de quoi effrayer l’enfant, voire le terroriser. Comme le regard et le toucher, la voix exprime de façon directe l’état intérieur de l’adulte, c’est pourquoi l’enfant y est aussi sensible. Il n’a pas encore les décodeurs pour prendre de la distance, c’est là sa vulnérabilité. Si la bienveillance est au rendez-vous, son énergie vitale n’est pas amoindrie, bien au contraire elle est renforcée.

La voix parlée rassure, accompagne les gestes, les chants et les berceuses apaisent les peurs. Entendre un chant qui nous touche, c’est sentir la présence de l’autre même si on ne le voit pas, c’est également, dans de nombreuses cultures, une ouverture à la présence de « l’Autre », à ce qui nous dépasse, à la sensation de ne faire qu’un avec le monde, à l’appartenance au Grand Tout. Les chants relient, ouvrent et consolent.

Quand l’enfant rencontre de la dureté dans la manière dont on le regarde, dont on le touche ou dont on lui parle, il cherche des manières de se protéger : ne plus écouter, s’échapper dans son monde intérieur, se taire, crier ou regarder droit dans les yeux en refaisant ce qui a déclenché la colère de l’adulte. La phrase « Tu veux que je t’aide ? » dite avec un ton menaçant sonne comme un signal d’alarme pour l’enfant et embrouille son cerveau. Sa force intérieure n’est pas encore assez grande pour éviter les coups portés à son énergie vitale, alors il se cuirasse progressivement pour éviter la souffrance de la solitude et du manque d’amour. Son énergie vitale reste présente, au fond de lui, mais il en est de plus en plus coupé.

Et pourtant, il a besoin d’aide pour canaliser son énergie vitale, apprivoiser ses émotions, trouver les mots qui donnent du sens !

Ces phrases lapidaires, ces gestes durs, ces regards sévères sont sans doute de vieilles mémoires inconscientes, issus de l’enfance des parents ou des héritages transgénérationnels. Nombre d’adultes n’ont pas ou peu reçu cette douceur de leurs propres parents. Même si ces derniers les aimaient, leurs peurs, leurs croyances et leurs propres blessures les ont rendu durs, autoritaires et parfois maltraitants. Ces mémoires alimentent un brouhaha de pensées (Il faut, tu dois, je suis obligé, la vie est dure, on choisit pas…) qui empêchent l’adulte d’entendre l’intuition profonde de la bienveillance, sa propre sagesse et de lui faire confiance. L’adulte s’est lui-même coupé de son énergie vitale pour se protéger.

Alors, comment sortir de cette répétition et aller progressivement vers des attitudes bientraitantes ? Comment être bienveillant lorsqu’on a été blessé et qu’on s’est protégé en se fermant et en se durcissant ?

Et si nous nous laissions enseigner par les enfants ?

C’est un paradoxe de l’éducation que de chercher à transmettre ce que l’on n’a pas reçu. Comment transmettre de la bienveillance quand a, en soi, des blessures de l’enfance qui ont engendré des peurs, de la tristesse, des colères réprimées et donc inconscientes ?

Et si, plutôt que de porter toute notre attention et notre énergie sur l’adaptation de l’enfant à monde, à notre culture, à notre époque, nous regardions aussi l’enfant comme un être susceptible de mieux aider à mieux nous connaître et à évoluer ?

La présence de l’adulte est indispensable pour donner aux enfants les clefs de la survie, les règles du jeu de cet incroyable terrain d’aventures qu’est la planète et partager les expériences de socialisation de l’humanité, l’évolution de la conscience individuelle et collective. L’adulte, de par son expérience, peut accompagner l’exploration, rassurer, réconforter, conseiller, expliquer ce qu’il a compris du « mode d’emploi de la planète terre » ; l’enfant, de par son innocence et sa curiosité, réveille l’adulte, l’invite à guérir, à évoluer, à grandir !

L’adulte accompagne l’enfant et l’enfant que fait-il ? Il réveille l’adulte ! Par son enthousiasme, sa curiosité et son innocence, il part à la rencontre de l’enfant intérieur de l’adulte, capable de s’émerveiller, de rire, d’aimer, de créer, qualités qu’il a souvent perdues à force de s’adapter.

L’enfant vient également guérir l’enfant blessé de l’adulte, celui qui a construit des barricades pour protéger sa sensibilité, qui n’ose plus être lui-même. Grâce à l’enfant, l’adulte peut retrouver sa capacité à ressentir des émotions enfouies, à les accueillir et à les exprimer. Il se laisse attendrir, ses propres cuirasses peuvent fondre devant une telle confiance dans la vie. C’est donc une rencontre qui se vit entre l’adulte et l’enfant, un enseignement partagé où chacun a quelque chose à transmettre et à recevoir.

N’essayons donc pas d’être des modèles « parfaits » auxquels il chercherait à s’identifier, mais plutôt des exemples de personnes vivantes, cherchant à être elles-mêmes, authentiques et en chemin. Les enfants peuvent ainsi se libérer progressivement des vieilles mémoires du passé, des peurs des adultes et entrer dans l’époque qui est la leur, plus conscients de leurs propres ressources intérieures, contribuer à l’évolution de conscience, plus porteurs de paix en eux et autour d’eux.

Véronique Guérin est psychosociologue et psychanalyste jungienne, a écrit des ouvrages sur l’autorité, l’évolution individuelle et collective et l’adolescence et a fait un DVD sur le développement relationnel de l’enfant de 0 à 3 ans. Elle a étudié particulièrement les enjeux de la relation éducative, d’accompagnement et de soin. Elle accompagne des équipes de professionnels (petite enfance, enseignants, travailleurs sociaux) et enseigne la conscience corporelle et relationnelle par le toucher, la voix, le regard, la présence à soi et à l’autre.

Site : www.etincelle.theatre-forum.com

Mail : contact@etincelle-theatre-forum.com

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