Comment le théâtre-forum participe à l’émergence de l’assertivité

Article extrait de
NVA
magazine.
Le théâtre-forum est une approche où sont jouées des situations de conflits entre personnes ou
communautés qui se terminent mal
: violence physique ou morale, exclusion, rupture de
communication… Les spectateurs sont ensuite invités à échanger sur ce qu’ils ont observé, ressenti et
à proposer des alternatives en remplaçant un des personnages susceptible de faire évoluer la
situation vers une résolution du conflit plus constructive et pacifique.
Avant de regarder plus précisément comment le théâtre-forum participe à l’émergence de l’affirmation
de soi non-violente, clarifions ce concept d’assertivité et la manière dont elle se développe.
Qu’est-ce que l’assertivité ?
S’affirmer c’est s’exprimer et agir pour obtenir ce que l’on veut. Un premier niveau d’affirmation
consiste à ne prendre en compte que son désir et à chercher à obtenir satisfaction en force
: crier,
frapper, arracher, insulter…
Cette affirmation s’inscrit dans un rapport de forces dans lequel l’un gagne et l’autre perd, l’un
domine parce qu’il en a la capacité physique et psychique et l’autre se soumet pour se protéger, en
attendant que le
rapport de forces
change éventuellement et qu’il puisse à son tour dominer… C’est
une affirmation qui s’accompagne souvent de violence physique (coups, menaces, cris…) et qui
déclenche chez les autres des réactions de contre-attaque ou, à l’inverse
Une deuxième manière de s’affirmer, plus élaborée, consiste à
manipuler
l’autre. Elle nécessite
de prendre en compte le point de vue de l’autre, ses désirs, ses peurs pour obtenir ce que l’on veut
avec le consentement de l’autre. Cette manière de s’affirmer évite la violence physique mais si elle
s’installe dans la durée génère de la violence psychique et peut s’assimiler au harcèlement moral. On
parle de violence de l’araignée par comparaison avec la violence du tigre.
Enfin, la dernière manière de s’affirmer est
l’assertivité
issu du verbe anglais To assert
: Affirmer
ses droits et ses valeurs de façon sereine et constructive, même en face d’interlocuteurs hostiles.
Etre assertif
consiste à
oser s’exprimer, de façon claire et non agressive, à prendre en compte la
vision des autres pour élargir sa propre vision et à imaginer des solutions novatrices et appropriées.
Comment se développe l’assertivité ?
La première clef pour développer l’assertivité consiste à regarder et à écouter ceux qui s’affirment de
façon non-violente. C’est la fameuse valeur de l’exemple
: nos attitudes influencent les autres.
Lorsqu’une personne est authentique et attentive à ses propres besoins et à ceux des autres, cela
aide son entourage, et particulièrement les personnes sur qui elle a autorité, à s’affirmer sans
violence. C’est pourquoi il est essentiel de former les adultes à ce savoir-être afin qu’ils puissent le
transmettre à la génération suivante.
La deuxième clef consiste à s’interroger sur le décalage entre nos attitudes et les valeurs de respect
et de paix que l’on souhaite incarner :
? Quelles sont les pensées, émotions, sensations qui m’ont
traversé et ont déclenché cette agression ou ce repli
? De cette interrogation peut naitre une
évolution
: Si cela se reproduisait, comment pourrai-je agir différemment
?
Il s’agit d’un apprentissage au même titre que la lecture ou l’écriture
qui est d’ailleurs déjà
dispensé depuis de nombreuses années au Québec, aux Etats-Unis ou encore en Europe du Nord
dans des programmes tels que le PRODAS
: Programme de Développement Affectif et Social. Trop
souvent encore aujourd’hui, les adultes cherchent à enseigner l’affirmation non-violente de soi en
utilisant la morale (Ca n’est pas bien d’insulter les autres) ou la raison (ca ne sert à rien de te mettre
en colère). Ces approches permettent aux personnes de mieux contrôler leurs pulsions et émotions
dans nombre de situations mais elles ne sont pas à l’abri de «
sortir de leurs gonds
» si la tension, le
stress, la peur sont forts. C’est pourquoi, si l’on veut favoriser l’assertivité, il est essentiel de devenir
conscient de ce qui se passe en soi tout en explorant comment s’exprimer sans agresser l’autre
:
passer du contrôle qui réprime à la conscience qui rend plus libre
.
L’apprentissage de l’assertivité part des postulats suivants
:
1.
On fait toujours de son mieux mais on a également la responsabilité d’évoluer pour incarner
de plus en plus ses valeurs
2.
L’intériorité (les sensations, émotions et pensées de la personne) est à différencier de
l’expression (les paroles et les actes qui en résultent).
3.
Etre à l’écoute sans jugement de son intériorité permet de mieux se connaître et s’aimer.
4.
Etre à l’écoute sans jugement des besoins et valeurs des autres permet d’explorer des
manières de parler et d’agir respectueuses des autres.
Pour développer l’assertivité, Daniel Favre, neuroscientifique, dans son livre «
Transformer la
violence des élèves
» parle de passer du circuit court (attitudes réactives, attaque, fuite) au circuit long
qui nécessite de s’intéresser aux émotions, à ce qui les déclenche et ce qui les apaise. Il s’agit de
mettre en lien nos sensations, nos émotions et nos pensées de manière à les rendre plus claires et
cohérentes. C’est ce que permet le théâtre-forum.
Comment le théâtre-forum favorise l’émergence de l’assertivité ?
Le théâtre-forum est un des techniques du théâtre de l’opprimé créé par Augusto Boal qui se déroule
en trois étapes :
1.
la présentation d’une scène de conflit inspirée de faits réels qui se termine de façon violente
:
coups, insultes, rupture de la communication, harcèlement, menaces, humiliation….
2.
Le forum durant lequel les spectateurs font part de ce qu’ils ont observé et ressenti
3.
Les remplacements des personnages par les participants qui viennent proposer des
alternatives à l’histoire initiale.
Chacune des ces étapes est source d’apprentissage.
Dans la première partie, les spectateurs voient sur scène les conflits qu’ils vivent et peuvent se
reconnaître dans un des personnages et se voir agir. Ils deviennent ainsi observateurs et peuvent
aborder cette histoire de façon plus distanciée et collective puisqu’elle semble concerner également
les autres spectateurs.
Dans la deuxième partie, l’animateur pose
un cadre sécurisant favorisant l’écoute et le respect entre
les participants et reformuler tous les points de vue sans les juger. C’est la condition essentielle pour
que les participants puissent se sentir en sécurité et confiance et exprimer leur intériorité
: les
sensations (j’ai la chair de poule), émotions (ca me met en colère) et les pensées qui les traversent
(c’est du sexisme ordinaire comme je le vis tous les jours dans la rue).
Pouvoir s’exprimer sans être jugé favorise la connaissance de soi et l’empathie envers soi-même.
Cela permet d’oser de plus en plus être authentique sans plus chercher à cacher ce qui nous pensons
et ressentons.
Pouvoir écouter les autres s’exprimer permet
de
prendre conscience
:
que l’on n’observe pas tous la même chose dans une même situation
: j’ai particulièrement
entendu la voix forte du personnage alors qu’un autre a vu qu’il avait reculé
que l’on n’interprète pas la scène de la même manière
: j’ai trouvé le parent trop sévère alors
que mon voisin a trouvé l’enfant insolent.
que les visions du monde ne s’opposent pas mais se complètent et s’enrichissent.
Il arrive que certains participants soient persuadés que ce qu’ils ont vu a été vu par tout le monde
et que leur jugement sur la situation est «
La
» réalité. C’est un puissant electrochoc de prendre
conscience de la relativité de sa vision et donc de la possibilité de la faire évoluer
!
C’est ce qu’apporte la troisième partie du théâtre-forum, la possibilité de faire évoluer une
situation. L’objectif de cette approche n’est pas de trouver ce qu’il serait bien de faire (morale) ou
intelligent (raison) ni même d’imaginer qu’il y ait une attitude qui conviendrait à tous dans toutes
situations. Il s’agit d’inviter chacun à développer sa créativité pour explorer des paroles et des actes
susceptibles de respecter ses besoins et d’incarner ses valeurs tout en préservant la relation avec
l’autre.
En venant tester sur scène une proposition qu’il a dans la tête, le spectateur peut expérimenter les
effets de ses attitudes sur les autres et sur l’histoire, sans risque pour soi, pour l’autre et pour la
relation puisque ceci est du jeu. Cette approche
s’apparente à une formation pour pilote d’avion à
base d’un simulateur de vol… L’apport essentiel du théâtre-forum est d’offrir ce laboratoire de
transformation des idées en réalisations, en paroles et en actes, d’en ressentir les difficultés
éventuelles et de les vivre dans son corps sous forme de sensations, d’émotions et de pensées.
En explorant des remplacements ou en regardant les autres le faire, les participants apprennent à
:
explorer en groupe les bénéfices et les risques de chaque attitude dans un conflit, aussi bien
dans les résultats obtenus (il a frappé, il n’a pas frappé) que dans l’état intérieur dans lequel
chacun se trouve à la fin de la scène (je le déteste, je lui pardonne)
développer sa créativité et élargir sa capacité à imaginer des solutions novatrices dans des
situations de conflits
Se mettre à la place de l’autre et faire l’expérience ce qu’il est susceptible de ressentir et
penser dans des situations de conflits
transformer la colère ou le découragement en proposition constructive.
Le théâtre-forum soutient ainsi le processus de questionnement des représentations, du regard sur
l’autre et sur soi-même et d’évolution des attitudes. Il permet d’une manière plus générale de
développer son intelligence relationnelle dans les domaines suivants
:
La relation avec soi-même : Devenir conscient des sensations, émotions et pensées qui me
traversent et être capable de les exprimer de façon adaptée et claire,
La relation duelle : Ecouter les sensations, émotions et pensées des autres sans juger ni se
laisser manipuler, passer de l’opposition au dialogue,
La relation d’autorité : développer une présence rassurante, frustrer sans violenter, contenir
physiquement et psychiquement,
La relation au groupe : développer l’écoute d’un groupe, favoriser une dynamique de
coopération, transformer des tensions
ou crises en occasions d’évolution, utiliser le groupe
comme support des apprentissages.

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